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Commentaires qui invitent à la réflexion sur l’actualité politique, en français ou en anglais / Thought-provoking comments on political developments, in English or French

2007/05/08

Pour un nouveau gouvernement du Canada

N’est-il pas temps que les trois partis d’opposition à la Chambre des communes s’entendent entre eux sur une série de lois et de mesures, renversent le gouvernement conservateur et proposent à la gouverneure générale que le Parti libéral du Canada forme un nouveau gouvernement qu’ils seraient prêts à soutenir?


N’en déplaise à leurs partisans, les conservateurs ont eu leur chance et ils échouent de façon spectaculaire dans la plupart des domaines les plus fondamentaux de l’heure: la prompte réduction des gaz à effet de serre, la protection des prisonniers en Afghanistan, la tenue d’un débat digne de ce nom sur notre participation à cette guerre, l’application et le renforcement des lois sur le contrôle des armes à feu, le maintien de l’autonomie des tribunaux et de la liberté de presse, la poursuite d’une politique étrangère constructive et la sauvegarde de la réputation internationale du Canada.

Qui plus est, les conservateurs ont abandonné les accords historiques de Kelowna et de financement des garderies, coupé l’appui financier à Condition féminine Canada et au programme de contestation judiciaire et accru excessivement les dépenses militaires et le fardeau des plus démunis, pour ne nommer que ceux-ci. Résultat: une gouverne de plus en plus contestée et contestable, et ce, malgré une dissimulation de leurs opinions les plus controversées sur le bilinguisme officiel, le bouclier anti-missile et les droits des femmes et des personnes gaies et lesbiennes, entre autres.

Pour toutes ces raisons, les partis d’opposition ont le devoir de s’entendre le plus tôt possible et de défaire le présent gouvernement par l’adoption d’une motion de non-confiance. La gouverneure générale aura alors le choix de déclencher une élection générale ou de demander au chef du Parti libéral, le deuxième en importance, de former un gouvernement. Étant donné que la dernière élection a eu lieu il y a moins de 18 mois, que les sondages prévoient un résultat semblable si une élection avait lieu aujourd’hui et que les trois partis d’opposition se seraient entendus pour soutenir un tel gouvernement libéral, il y a fort à parier (ou plutôt à vérifier) que la très honorable Michaëlle Jean choisirait cette dernière voie.

Le projet

En quoi consisterait un projet législatif et politique acceptable aux trois partis d’opposition? De toute évidence l’envers des politiques conservatrices dans les domaines mentionnés ci-dessus, en plus du maintien à tout le moins des mesures déjà introduites visant à régler le déficit fiscal et à donner une voix au Québec à l’UNESCO (un plancher pour le Bloc), ainsi que le renforcement de la Loi fédéral sur la responsabilité et probablement la diminution de la TPS, le maintien des allocations familiales et quelques autres mesures populaires. À noter : il serait plus prudent de se limiter à un nombre restreint d’éléments qui feraient consensus que de risquer un échec global, le temps d’établir une certaine confiance et un mode de fonctionnement entre leurs représentants.

Le principal sujet de discorde serait peut-être le moment, le lieu et la pertinence du retrait des soldats canadiens de la province de Kandahar. La meilleure façon de procéder à mon sens serait de conclure d’ici six mois une analyse complète du dossier, effectuée par un groupe d’étude composé de personnes éminentes qui consulteraient à la fois des experts canadiens et étrangers, des autorités locales et ceux qui travaillent auprès des populations en Afghanistan et au Pakistan. Ainsi nous pourrions enfin avoir une discussion approfondie basée sur les faits, tel que réclamée de longue date par l’opposition et, espérons-le, définir une position consensuelle. Par ailleurs, un tel exercice aurait un bénéfice pédagogique appréciable sur la population canadienne.

La gouvernance

Qui gouvernerait alors? La convention et la tradition veulent qu’on offre au deuxième parti en importance l’occasion de solliciter la confiance de la Chambre, ce qu’il obtiendrait sur la base d’un tel accord formel ou informel, renouvelable. Il serait aussi crucial de bien établir le processus de consultation en vue de rédiger l’inévitable discours du Trône, de revoir le budget, de mettre au point les détails des projets de loi à soumettre et de s’occuper de toute autre matière qui pourrait survenir ou s’ajouter au fil des mois.

Pour ce qui est de la légitimité d’un tel gouvernement, elle se fonde sur le fait que ces trois partis ont obtenu collectivement près de 58 % des voix et 60 % des sièges lors des dernières élections et qu’ils conservent un score semblable dans les sondages. Plus encore, les libéraux ont obtenu à eux seuls des sièges dans neuf provinces (sauf l’Alberta) et deux territoires, ont fait le ménage au sein de leur formation et ont introduit du sang neuf aux principaux postes du parti. Ils auront peut-être à justifier leur entente avec les « séparatistes », mais MM. Martin et Harper ont déjà maintenu leur gouvernement au pouvoir et fait adopter des lois avec l’appui du Bloc à plus d’une reprise depuis juin 2004.

Évidemment les bloquistes devront composer de leur côté avec le fait qu’ils auront contribué à installer le chef du Parti libéral, M. Stéphane Dion, dans le fauteuil du premier ministre, mais ce gouvernement serait sous haute surveillance étant donné qu’il serait minoritaire et qu’il agirait sur fond d’un menu législatif et politique négocié, plus près des valeurs et des intérêts du Québec – leur leitmotiv. D’autre part, le Bloc ne pourra être critiqué pour avoir tué dans l’œuf quelques négociations constitutionnelles sur l’autonomie du Québec puisqu’on est encore très loin de cela des deux côtés de la rivière des Outaouais.

Les avantages

Quels seraient les avantages d’un tel renversement? Globalement, un menu gouvernemental plus centré sur les attentes de la majorité des citoyens et dont chaque parti pourrait à juste titre s’attribuer le mérite et être fier. Pour le Parti libéral, cela donnerait également l’occasion à son chef de gagner du temps avant les prochaines élections, lui permettant de ressaisir son leadership, de démontrer aux Québécois et aux Canadiens ses capacités en tant que premier ministre, d’accroître ses appuis dans toutes les régions aux dépens des conservateurs principalement et de se préparer (plateforme, candidats, finances) pour la prochaine campagne électorale, tout en regardant les membres du PC remettre leur programme et leur direction en cause, suite à leur défaite.

Pour le Bloc, il s’agit, bien entendu, d’éviter une raclée potentielle en région servie par les conservateurs fédéraux, comme celle que vient de servir l’ADQ à son frère siamois, si jamais une élection hâtive était déclenchée (ce qui demeure possible). Un accord sur un ou deux ans devrait être assez long pour que le PQ rebâtisse ses forces dont dépend le succès du Bloc. La levée de la menace électorale permettrait aussi au chef Gilles Duceppe de se lancer, le cas échéant, dans une course à la chefferie du PQ et au BQ, de le remplacer.

Enfin, les avantages pour les néo-démocrates seraient d’éliminer en partie la menace provenant des libéraux et surtout des verts en résolvant efficacement la question environnementale qui les coince entre ces deux formations, par l’adoption du bien meilleur plan vert déjà préparé par les partis d’opposition aux Communes et refusé par les conservateurs. Et de ne plus devoir soutenir à l’occasion une formation diamétralement opposée, plus que tout autre, à son credo, et risquer que M. Harper précipite sa propre défaite à un moment opportun et obtienne la majorité qu’il recherche lors d’une élection.