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Commentaires qui invitent à la réflexion sur l’actualité politique, en français ou en anglais / Thought-provoking comments on political developments, in English or French

2011/09/30

Avancer audacieusement: un abécédaire libéral

(Pour les mordus - Révisé le 4 décembre 2011)
Comme plusieurs autres grands partis centristes occidentaux, le Parti libéral du Canada a perdu du terrain vis-à-vis de ses principaux rivaux et vient de subir sa pire défaite électorale. 
Cela ne s’est pas produit du jour au lendemain. Le PLC perd des appuis depuis des décennies au Québec, dans l’Ouest canadien et en région rurale pour des raisons spécifiques (ex. changements constitutionnels, politiques énergétiques et registre des armes à feu, respectivement), et de façon
générale pour d’autres raisons (ex. commandites, leaders affaiblis, priorités). Ainsi, sa part du vote global est en déclin depuis 1993 et n’était déjà pas très élevée pendant les années Mulroney.

Qui plus est, le parti aurait pu exprimer davantage ses valeurs et ses croyances et mieux se concentrer sur les principales préoccupations des gens dans leur quotidien, soit l’amélioration de leur niveau et qualité de vie.

En effet, le niveau de vie des familles de classe moyenne est pratiquement en état de stagnation depuis les années 1970. Les inégalités, les dettes personnelles, les heures travaillées, et les niveaux d’anxiété et de stress ont tous augmenté et atteignent des sommets inégalés depuis des décennies. Sans parler du grand nombre de familles en situation de pauvreté à travers le pays, dont plusieurs sont en état de précarité aigüe avec des enfants qui ne mangent qu’un ou deux repas par jour vers la fin du mois, lorsque l’aide sociale ou le salaire minimum s’épuise.

Il doit donc se remettre sur les rails de façon remarquable et sincère, en faisant tout en son pouvoir pour améliorer le vécu des gens, avec compétence, constance, intégrité et candeur.

Le PLC a déjà fait les premiers pas en cette direction en tenant un discours franc et en mettant l’emphase sur l’emploi, l’économie et la santé. Il doit continuer en ce sens avec des idées et des initiatives attrayantes qui vont confirmer son engagement à améliorer la vie des Canadiens et des Canadiennes, perfectionner la gouvernance du pays et changer sa façon de faire.

Mais avant de discuter de ces idées, il est essentiel de bien comprendre que même un programme plus séduisant, résolu et tourné vers l’avenir ne suffira probablement pas. Comme d’autres individus et organismes inspirants, il doit commencer par retrouver et communiquer le « POURQUOI » de son action.

Commencer avec « Pourquoi? »

D’après M. Simon Sinek, expert en leadership et auteur du livre Start with Why, « Les gens n’achètent pas ce que vous faites. Les gens achètent pourquoi vous le faites ». C’est le côté émotionnel qui est responsable de la plus grande part (certains disent de tout) du comportement humain. Les électeurs peuvent comprendre les politiques, les bénéfices, les faits et les données, mais ceux-ci n’orientent pas leur conduite. « Alors nous devons parler directement à ce qui conduit leur comportement et ensuite leur permettre de le rationaliser », argue-t-il.

La plupart des organismes et individus commencent naturellement par décrire ce qu’ils font, soit le QUOI, et certains arrivent à décrire COMMENT ils le font. Très peu d’entre eux par contre s’attardent à la question plus ambiguë mais centrale : POURQUOI ils font ce qu’ils font. Les meilleurs leaders, par contre, renversent cet ordre et répondent avant tout à la question « Pourquoi? », c'est-à-dire leurs cause, raison d’être, croyances, valeurs, en fait pourquoi leur organisme existe, pourquoi ils font ce qu’ils font, pourquoi ils se lèvent le matin!

Sinek fournit des exemples de grands leaders et organismes qui ont répondu avant tout à cette question, en commençant par la société Apple parce que plus facile à comprendre. Ainsi, la plupart des compagnies d’ordinateurs débutent en disant « Nous fabriquons de très bons ordinateurs (le QUOI?). Ils contiennent plusieurs innovations, ont un beau design et sont faciles à utiliser (le COMMENT?). Voulez-vous en acheter un? » Pas très inspirant…

Apple et ses fondateurs commencent plutôt avec le POURQUOI – ce qu’ils représentent et défendent : « Dans tout ce que nous faisons, nous croyons qu’il faut défier le statu quo (en fait, changer le monde!). Nous croyons qu’il faut faire les choses différemment. Nous le faisons en offrant les produits les plus innovateurs, avec les plus beaux designs et les plus faciles d’utilisation dans le monde. Voulez-vous en acheter un? » Ou, plutôt, « Voulez-vous vous joindre à nous? » Ce qui est beaucoup plus inspirant et efficace.

Le candidat Barack Obama a aussi répondu en premier à la question POURQUOI lors de sa course à la Maison Blanche. Il croyait que l’Amérique ne remplissait pas sa promesse auprès de la plupart de ses citoyens, et qu’il fallait fondamentalement changer la direction du pays et faire la politique autrement, donnant de l’espoir aux gens. COMMENT? En rapatriant les troupes américaines d’Irak, en améliorant le système de santé, en prenant le virage vert, en œuvrant avec tous ceux et celles qui partageaient cette vision (démocrates, républicains et indépendants) et en remettant les gens au travail. La course à la présidence était ce qu’il faisait, son QUOI. Il demandait aux Américains de s’y joindre et de le faire non pas pour lui, mais plutôt pour eux-mêmes, le tout brillamment communiqué dans ses discours et ses slogans.

Il est assez facile de savoir ce que le gouvernement Trudeau représentait à l’époque et qui était capté dans le slogan, « Une société juste », ainsi que celui de Jean Chrétien : se débarrasser des conservateurs et de leurs politiques (TPS, TLÉ, déficits budgétaires et manquements à l’éthique) et empêcher la sécession du Québec en réaction au référendum de 1995.

Avant l’élection du 2 mai 2011, le PLC se concentrait principalement sur le « Comment », et ce, de manière peu efficace, manquant de concentration sur quelques questions prioritaires pour les Canadiens, résistant à la régression conservatrice dans certains domaines, proposant le statu quo ou de nouvelles politiques et programmes dans d’autres secteurs. Mais comme Sinek nous le rappelle, le grand discours du révérend Martin Luther King jr était intitulé « J’ai un rêve ! » et non « J’ai un plan ! ».

Alors comment les membres du PLC répondraient-ils à cette question centrale aujourd’hui ? Pourquoi font-ils de la politique ? À quoi croient-ils ? À quoi rêvent-ils ? Qu’est-ce qui les motive ? Que défendent-ils ?

Définir notre « Pourquoi »

Sinek suggère de regarder non pas vers l’avenir, ce que le parti veut accomplir, à partir de planification stratégique, d’études de marché, de groupes de discussion (focus groups) ou de rencontres avec des électeurs. Il propose plutôt qu’il se tourne  vers son passé, ses éthos, les raisons qui ont inspiré ses membres à se joindre à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. La réponse réside dans ses orateurs précédents et dans le fond de chacun d’entre eux aujourd’hui.

Les mots précis qui définissent la cause, la raison d’être et les croyances de ce parti pourraient être trouvés ou finalisés par un petit groupe représentatif avec l’appui de quelques professionnels des communications. Ils devraient ensuite être exprimés avec force, passion et crédibilité par le chef du parti lors de discours et d’occasions majeurs (ex. lors du congrès de janvier prochain), appuyé par des images et des cas réels. D’autres porte-parole au sein du parti aux niveaux local et national pourraient reprendre les principaux éléments de ce POURQUOI et les répéter, parfois dans leurs propres mots. Quelques slogans attrayants et appropriés seraient alors conçus afin de promouvoir notre Pourquoi.

Une fois que le parti commence de nouveau à toucher le cœur des citoyens en réclamant son Pourquoi et en l’exprimant haut et fort, il doit l’appuyer avec des idées et des initiatives qui confirment non seulement celui-ci, mais aussi fournissent aux électeurs les raisons rationnelles de d’appuyer les libéraux. Tel que mentionné ci-dessus, il doit démontrer qu’il est des plus sérieux lorsqu’il dit qu’il veut améliorer substantiellement la vie des gens, perfectionner sa gouvernance et changer ses façons de faire. Voici COMMENT.

Comment soutenir son « Pourquoi »

Un vieux dicton en collecte de fonds pour œuvres de charité relate que c’est le cœur qui nous porte à vouloir donner, mais que c’est le cerveau qui nous porte à écrire le chèque! Une grande cause doit donc proposer aux gens un plan d’action efficace et leur donner confiance que ce plan sera réalisé, au moindre coût.

Ainsi, les bonzes du PLC doivent proposer aux électeurs les meilleurs politiques publiques qu’ils peuvent formuler et, là où ils n’ont pas encore de solutions précises, le meilleur processus pour les développer. Certes, ils devront distinguer entre le court et le moyen/long terme, faire face à certaines de ses faiblesses passées tout en regardant vers l’avenir, et être assez audacieux pour piquer l’imaginaire des gens. Le tout en étant conscient des anxiétés des citoyens et citoyennes face à une économie chancelante et la gouvernance en général. Et ils doivent aussi garder à l’esprit les contre-offensives probables des autres partis.

La stratégie, le timing, la séquence, les alliances, l’obtention de succès rapides, l’apprentissage et l’obtention de la confiance des citoyens, entre autres, font tous partie du processus de planification et d’exécution. Voici quelques idées en lien avec ce POURQUOI et les préoccupations de la plupart des électeurs à l’heure actuelle, présentées en ordre chronologique, en commençant par les communications :

1.     Prononcer de GRANDS discours Le chef intérimaire Bob Rae est déjà assez doué à ce niveau. Les mots sont importants, ils définissent le leader et son parti, inspirent et mobilisent les citoyens, et sont une des seules choses qu’il a à sa disposition en situation d’opposition. Le leader du parti a besoin davantage de phrases mémorables, exprimant son POURQUOI et son COMMENT avec force, cœur et authenticité. Lui et ses députés doivent aussi personnaliser les problématiques en rencontrant des citoyens et citoyennes et écouter attentivement leur vécu, leurs difficultés et leurs solutions – ils savent où le bât blesse. Ils pourront alors faire référence spécifique à de tels cas, en leur présence ou dans ses discours.

2.     « C’est (toujours) l’économie, stupide! » (court terme)  Suite à la Grande récession de 2008-2009 et devant le présent ralentissement, le PLC doit continuer à mettre l’accent sur l’emploi et l’économie en général : exiger que le gouvernement retarde les coupures anticipées dans ses dépenses, maintenir les prolongements exceptionnels de l’AE, assurer les besoins essentiels de nos citoyens, mettre en place les mesures nécessaires aux niveaux national et international pour qu’un tel dérapage ne se reproduise plus, etc. Ne pas attendre d’être de nouveau en période de récession avant d’agir. Il est hautement plus facile de corriger une réaction démesurée qu’une réaction insuffisante.

3.     Éliminer la mauvaise gestion et le gaspillage Avant même de commencer à parler de ce que le parti aimerait faire de plus, il devrait déclarer qu’il va entreprendre une étude de tous les programmes et pratiques de gestion. Bien des Canadiens seraient plus enclins à payer leurs impôts et taxes s’ils ne croyaient pas que les gouvernements gaspillent, dépensent allègrement et gèrent mal leurs dossiers et leurs revenus. Les responsables devraient analyser les raisons des dépassements de coûts et gaspillages antérieurs et proposer des changements structurels, de procédure et de suivi afin d’éviter de tels problèmes à l’avenir. Le parti libéral a déjà commencé à en identifier lors de ses conférences de presse intitulées, « Mercredi du gaspillage ».

4.     Renforcer la responsabilisation Toujours pour regagner la confiance des gens, les libéraux devront démontrer hors de tout doute qu’ils sont engagés à combattre la corruption et corriger ses manquements passés, parce qu’ils en sont toujours stigmatisés (le problème ne disparaîtra pas en l’ignorant). Ils devront : a) Vérifier qu’il n’y a pas de corruption et de collusion dans les industries invitées aux appels d’offres du gouvernement fédéral; b) Renforcer la Loi fédérale sur la responsabilité; et c) Renforcer la gestion et la responsabilité financière à tous les niveaux internes du parti.

5.      Accroître notre niveau et qualité de vie (moyen et long termes)  Le PLC doit porter cette question plus que tout autre parti, en examinant en profondeur avec experts et parties prenantes pourquoi le niveau de vie de la classe moyenne stagne à toutes fins pratiques depuis des décennies et sortir avec des propositions crédibles et inspirantes qui renverseront cette tendance et les inégalités croissantes. Le processus doit être inclusif et édifiant, fournissant à la fois une occasion et un moment « d’apprentissage ».

6.      Améliorer notre système de santé publique Étant donné les négociations à venir sur la contribution du fédéral aux systèmes de santé provinciaux et la préoccupation des citoyens à ce sujet, il devra être des plus clairs à propos du maintien du système de santé public et son désir de travailler avec les provinces afin de l’améliorer. Beaucoup d’études ont été réalisées au Canada et ailleurs, des tendances et meilleurs pratiques identifiées et des idées proposées par une panoplie d’acteurs, dont des chercheurs, des universitaires et centres de recherche, des associations professionnelles, des praticiens, des fournisseurs de services, des organisations sociales et d’autres parties prenantes.

7.      Réformer notre démocratie Étant donné le niveau de mécontentement et les taux de participation aux élections à travers le pays, le parti devrait mettre en place dès maintenant un processus afin d’identifier des moyens d’améliorer nos systèmes électoral, parlementaire et de gouvernance. Au préalable, il faudra décider s’il veut ouvrir complètement l’ordre du jour ou structurer la discussion autour de quelques sujets précis, tels que : la représentation proportionnelle, le 2e tour, le scrutin préférentiel, etc.; la limite des dépenses entre les élections et le contrôle indépendant de la publicité gouvernementale; le financement des partis et des campagnes; le renforcement du rôle et des pouvoirs des députés, des comités parlementaires, et des budgets du directeur parlementaire du budget et du vérificateur général; la période de question; la parité de genre; le nombre total des sièges au Parlement et leur distribution; la réforme de la constitution; les gouvernements minoritaire et de coalition; la polarisation dans les médias traditionnels; et autres sujets pertinents.

8.     Se doter d’un grand objectif audacieux? (Big Hairy Audacious Goal)  En regard de ce qui précède, est-ce que le pays devrait se doter d’un grand objectif inspirant, prometteur et audacieux, qui aurait un effet « boule de neige » et qui mobiliserait une part importante des énergies et des ressources dans une même direction pour le bien commun? Si oui, le parti devra évidemment être conscients des bénéfices et des coûts d’une telle entreprise, des priorités actuelles des gens et de l’opposition potentielle de diverses sources. Cela exigera donc une évaluation en profondeur avant de prendre une décision et, s’il va de l’avant, l’élaboration de la meilleure stratégie, le développement de consensus et d’alliances, et une excellente communication. Voici quelques idées dont certaines sont plus audacieuses que d’autres :

a)    Faire du Canada un État libre de pétrole avant l’an 2040 (ou à tout le moins un État libre de GES où les émissions sont réduites de 80% ou plus), dont l’objectif premier est de réduire la facture mensuelle d’hydrocarbures des citoyens et des entreprises, de renforcer notre économie en dépensant ces sommes chez nous et de contribuer à la réduction des GES. Cela exigerait la mobilisation d’une bonne partie de notre économie et l’utilisation de divers moyens pour y arriver, mais ne veut pas dire que l’industrie pétrolière et gazifière au pays devrait fermer ses portes. Elle pourrait continuer d’extraire, de raffiner et de vendre ses produits sous des conditions admissibles, soit le maintien en santé des communautés locales, le respect des cibles nationales de GES, la restauration des terres et, éventuellement, la vente uniquement aux pays qui respectent les accords internationaux de réduction de GES.
b)    Trouver un remède pour une maladie en particulier. Beaucoup d’argent est déjà investi en recherche sur le cancer et d’autres maladies au niveau mondiale, mais certaines lignes d’investigation pourraient être suivies et générer beaucoup d’intérêt créatif. Le Canada (le Québec en particulier) a déjà une industrie pharmaceutique et des centres de recherches universitaires à la fine pointe, qui pourraient être développés davantage. Cela attirerait des chercheurs, créerait des emplois bien rémunérés et produirait beaucoup de bénéfices secondaires. Par exemples, pour un type de cancer ou les maladies du cœur.
c)     Éliminer la pauvreté d’ici 15 ans, en respectant les juridictions et sans accroître le total des dépenses gouvernementales sur une décennie, par des campagnes d’alphabétisation et autres formations, des programmes de stages, du logement social, en permettant aux bénéficiaires d’aide sociale, d’AE ou du SRG de garder progressivement leurs revenus gagnés par le travail, etc. Bien des groupes sociaux demandent depuis longtemps une politique nationale anti-pauvreté et un nombre d’études ont été réalisées à ce sujet. Le parti devra s’assurer par contre que la classe moyenne ne va pas devoir payer davantage, mais plutôt sauvera à la fin, tout en créant une société plus efficiente et égalitaire.
d)    Créer un Program national d’internat, régit par les provinces et qui offrirait aux récents gradués, aux sans-emploi et sous-emploi en transition, et aux récents immigrants des stages de 3 à 12 mois afin de gagner de l’expérience de travail dans les secteurs privé, public ou sans-but-lucratif. Cela existe déjà dans différents métiers et dans plusieurs universités (programme coop). Quelques pays ont de tels programmes nationaux et pourraient être examinés et adaptés.

Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et fut candidat libéral en 2009 et 2011.