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2016/02/16

Pourquoi appuyer la nouvelle mission canadienne contre l’ÉI

(Traduction de mon texte publié dans le quotidien torontois, The Star, le 10 février 2016)

Le changement d'approche stratégique du nouveau gouvernement canadien contre le groupe extrémiste État islamique (ÉI ou Da’esh), tel qu'annoncé la semaine dernière, est non seulement défendable mais aussi souhaitable.

Tous les experts interrogés depuis le lancement de la campagne de bombardements aériens par une coalition internationale il y a 18 mois sont unanimes : bien que les frappes aériennes soient utiles, il est indispensable d’avoir des « troupes au sol » (boots on the
ground) afin de regagner le terrain perdu et ultimement vaincre l'État islamique en Irak et en Syrie.

Il est donc logique d'abord et avant tout d’équiper, de former, de conseiller et d’aider les troupes irakiennes, les miliciens sunnites, les forces peshmerga et les rebelles syriens modérés qui mènent la lutte à Da’esh, d'autant plus qu’aucun pays voisin ou membre de la coalition a jusqu'à ce jour engagé ses propres forces terrestres directement contre l’ÉI, et ce, à juste titre.

Si le retrait des six CF-18 canadiens, libérant ainsi entre 243 et 351 millions de dollars par année en dépenses additionnelles, était justifiable avant les attaques terroristes de l'automne dernier réclamées par l’ÉI, il l’est davantage maintenant que le tempo de bombardements s’est accentué au point de manquer de cibles crédibles.

Le nombre de munitions larguées par sortie des forces alliées a accru de 30 pourcent depuis 2014-2015, portant ce nombre à plus de 30.000 à ce jour. Qui plus est, le Royaume-Uni a ajouté la Syrie dans sa mire et la France a triplé ses frappes aériennes après le carnage de Paris qui a laissé 130 morts.

Et la Russie s’est immiscée dans la guerre aérienne avec vengeance, déployant missiles de croisière, bombardiers à longue portée et MiG, dont 12% ciblent l’ÉI en Syrie, suite à l’attentat au dessus du Sinaï qui a fait 224 victimes à bord le vol 9268 de Metrojet, acte réclamé par Da’esh l'automne dernier.

Cependant, il y a d'autres raisons fondamentales pour recentrer l'effort diplomatique et militaire derrière les forces locales. La lutte contre l’État islamique doit être menée par les gens de la région et non par les Occidentaux, et être perçue ainsi.

En premier lieu, les Irakiens et les Syriens appartenant aux divers groupes ethniques et religieux doivent eux-mêmes dégager les compromis politiques nécessaires qui les amèneront à vivre en paix, puis à les défendre. Le mauvais traitement et le massacre de musulmans sunnites en Syrie et sous l'ancien premier ministre Nouri al-Maliki en Irak, après le retrait des troupes américaines en 2011, expliquent en bonne partie pourquoi l’ÉI a pu recruter d'anciens commandants militaires sunnites sous Saddam Hussein et a été toléré par plusieurs dans les communautés sunnites de ces deux pays.

En second lieu, la tenue de réunions stratégiques anti-Da’esh qui n’incluent que les puissances occidentales de la coalition « dirigée par les É.-U. », telle que celle de Paris le mois dernier à laquelle le Canada n'a pas été invité, renforce le faux récit djihadiste d'un conflit entre christianisme et judaïsme, d'une part, et l’islam d'autre part, entre Arabes et Européens, voire entre civilisations, et agit comme puissant outil de recrutement.

Enfin, en se concentrant sur le retrait de nos CF-18 et autres aspects militaires, nous négligeons les fronts politiques et humanitaires tout aussi, sinon plus, cruciaux.

Encore une fois, presque tous les experts conviennent que la guerre ne suffira pas à vaincre l’ÉI et autres djihadistes dans la région et ailleurs. La collecte de renseignements, la lutte contre la propagande extrémiste et le recrutement, l’atteinte d’un cessez-le-feu et un changement de régime en Syrie (ou à tout le moins de gouvernement), et le renforcement de la gouvernance irakienne, l'équité et la sécurité des diverses communautés, sont indispensables.

Le Canada a le statut diplomatique et la capacité de contribuer de manière significative dans ces domaines, tant au niveau bilatéral et qu’en collaboration avec nos alliés, que ce soit en publique ou en privé.

En outre, notre aide humanitaire supplémentaire contribuera à atteindre les 9 milliards de dollars pour l’année 2016 seulement requis pour venir en aide aux 12 millions de Syriens déplacés à l'intérieur et réfugiés, qui ont eu peu de secours et d'espoir depuis le début du conflit syrien en avril 2011, menant un grand nombre d’entre eux à fuir vers l'Europe et ailleurs.

La bonne nouvelle est que la stratégie globale de la coalition semble fonctionner, bien que lentement. L’ÉI perd plus de terrain qu’il en gagne en Irak et en Syrie dernièrement. La nouvelle politique du Canada permettra d'accélérer ces développements positifs et devrait être appuyée.


Robert M. David enseigne à l'École de développement international et mondialisation, Université d'Ottawa. Il était candidat libéral au niveau fédéral en 2009 et 2011. Les vues exprimées sont uniquement celles de l’auteur.

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