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Commentaires qui invitent à la réflexion sur l’actualité politique, en français ou en anglais / Thought-provoking comments on political developments, in English or French

2009/02/14

Peut-on développer durablement les sables bitumineux ?

(Texte distribué largement par Internet)
Le gouvernement albertain a dévoilé jeudi dernier son plan « Actions responsables » de développement des sables bitumineux sur une période de 20 ans, en vue à la fois de maximiser son exploitation et de réduire ses effets néfastes sur l’environnement et les populations locales.

Deuxièmes réserves pétrolières mondiales après celles de l’Arabie Saoudite, il n’est pas étonnant que le premier ministre de cette province tente à la fois d’en faire la promotion et de redorer son blason environnemental, doublé du fait que tous anticipent une remontée du prix du pétrole concurremment à la relance économique mondiale.

Mais tout comme le projet hydroélectrique de Grande Baleine qui fût abandonné en 1998 par le gouvernement du Québec, suite à l’importante mobilisation des groupes écologistes du Québec et des États-Unis, les projets d’expansion de la production de pétrole synthétique en provenance de ces sables auront peu de chance de voir le jour face au lobby environnementaliste chez nos voisins du sud et au Canada si l’industrie pétrolière continue dans le même sens, constate désormais le gouvernement.

Déjà le nouveau président américain parle de pétrole salle, « dirty oil », lorsqu’il fait référence au brut extrait de ces sables. C’est pour dire combien le travail des groupes écologistes aux É.-U. est avancé, là où l’essentiel du pétrole albertain est vendu. Et ce, même si M. Barack Obama a promis de diminuer la dépendance de son pays envers les sources d’approvisionnement étrangères (lire proche-orientales et non canadiennes, espère bien l’industrie pétrolière canadienne).

Une bataille que l’Alberta et son allié à Ottawa, le gouvernement conservateur de Stephen Harper, ne peuvent gagner. À moins de…

À moins de se refaire une virginité (toujours partielle on en convient) par l’entremise de cinq grands moyens qui vont au-delà des mesures envisagées dans l’énoncé de jeudi:

1. Mettre fin à l’extraction à ciel ouvert qui a déjà détruit une superficie grande comme la Floride et réparer les dommages non seulement cosmétiques au paysage mais aussi en profondeur. L’industrie a promis de le faire aussitôt que les compagnies ont fini d’extraire les sables de surface…

2. Éliminer le dépôt dans des étangs de décantation des produits de queue toxiques qui affectent les nappes aquatiques et qui sont responsables de la mort de centaines d’oiseaux et possiblement de l’augmentation de taux de cancer chez les populations en aval, en les retournant possiblement sous terre tel que promis si et seulement si cela n’est pas néfaste à la santé publique (ce qui n’a pas encore été démontré).

3. Réduire l’utilisation de quantités massives d’eau et à néant ou presque les émissions de gaz à effet de serre, lors de la production de ce pétrole par des moyens sûrs et éprouvés (ce qui non plus n’a pas encore été démontré dans le cas du captage et de l’enfouissement des GES).

4. Exiger que le pétrole ainsi produit ne soit vendu directement ou indirectement à aucun pays qui n’adhère pas aux protocoles internationaux en vigueur et à venir, tel que Kyoto et Kyoto Plus, dans un délai raisonnable.

5. Déposer la majeure partie des royautés dans des fonds de dotation aux niveaux provincial (le Heritage Fund albertain) et au fédéral (à établir), afin de conserver ce patrimoine unique pour les générations futures et d’éviter en même temps la « maladie hollandaise » responsable en partie de l’augmentation de la valeur de la devise canadienne par un développement trop rapide et tout azimuts, au détriment de nos secteurs manufacturier et forestier, entre autres.

Plusieurs de ces mesures exigent des investissements de taille de la part de l’industrie – en analyse, en contrôle, en innovation, en recherche et en développement – et de prendre le temps de les réaliser avant d’aller plus loin. Mais ce n’est pas la chute temporaire du prix du baril qui devrait freiner de telles dépenses, compte tenu que la plus grosse pétrolière du monde par exemple, Exxon-Mobile, propriétaire majoritaire de la compagnie pétrolière canadienne Impériale (détentrice de la marque Esso), a réalisé des profits de plus de 45 milliards de dollars américains en 2008 et de 40 milliards en 2007 et a versé la rondelle somme de 40 milliards à ses actionnaires l’an dernier.

Ainsi, les pétrolières canadiennes ne devraient, mais vraiment pas, quémander auprès du gouvernement Harper pour qu’il investisse 300 millions canadiens de son plan de relance économique, que les contribuables devront rembourser un jour, pour entreprendre des recherches qu’elles devraient elles-mêmes entamer sur le captage et l’enfouissement du dioxyde de carbone. Surtout que ces mêmes pétrolières ne paient rien à l’heure actuelle pour le rejet de millions de tonnes de GES dans l’atmosphère terrestre, contribuant de façon significative à faire du Canada le pire pollueur mondial per capita à cet égard parmi les pays industrialisés et deuxième mondialement après l’Arabie Saoudite.

Si développement de cette ressource il doit y avoir, voila quelques mesures additionnelles que l’Alberta devrait envisager afin de vraiment assainir son environnement et son image et de faire du reste du Canada son partenaire.

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Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia