Pourquoi les électeurs
québécois revoient-ils leur stratégie électorale – en l’occurrence leur appui
au Bloc Québécois – à quelques jours du scrutin? Il y a sûrement d’autres raisons
que la personnalité du chef néodémocrate pour expliquer ce changement d’humour chez
l’électorat, surtout étant donné que la tendance lourde de l’appui au Bloc
depuis le référendum de 1995 tire vers le bas, sauf pour quelques soubresauts.
Voici certaines pistes d’explication qui demeurent à confirmer.
Premièrement, le chef du Bloc,
M. Gilles Duceppe, se plaît de répéter à chaque occasion le principe
fondamental qui guide l’appui ou non de sa formation à tout projet de loi ou
motion à la Chambre des communes: « Si c’est bon pour le Québec, on vote pour;
si c’est mauvais, on vote contre ». À priori il faut reconnaître l’attrait de
cette formule pour bien des Québécois. Simple et rassurante, bien
qu’attentiste, l’électeur a l’impression de pouvoir à la fois défendre les
intérêts du Québec et influencer positivement les projets de loi déposés, du
moins les rares projets nécessitant le soutien des députés bloquistes.
Or, il y a un problème majeur
avec cette approche qui, dans les faits, mène à son effet contraire. C’est que
la quasi-totalité des projets de loi maintenant proposés par le gouvernement
fédéral sont mauvais pour le Québec! Bien que le Bloc peut contribuer à
empêcher les conservateurs de former un gouvernement majoritaire, sans pour
autant le garantir, il assure ou presque l’élection d’un gouvernement
conservateur minoritaire en excluant les deux-tiers des 75 sièges en lice au
Québec. Cela est le cas depuis que le Parti réformiste, composé de
néoconservateurs et de membres de la droite religieuse, a avalé en 2004 ce
qu’il restait des progressistes-conservateurs pour se présenter sous la bannière
unie du Parti conservateur de M. Stephen Harper.
En retirant une cinquantaine
de sièges des plus progressistes au pays, il y a d’autant plus de chances que
les conservateurs avec leur concentration d’appuis ailleurs au Canada se
retrouvent en tête du palmarès le soir de l’élection et, ainsi, continuent
d’adopter des lois et des décrets aux antipodes des valeurs et des intérêts des
Québécois et des Québécoises, même s’ils ne sont pas majoritaires.
Deuxièmement, puisque le Bloc
est un parti officiellement souverainiste, il y a non seulement peu d’attrait
pour tout gouvernement minoritaire à tenir compte de ses demandes et à obtenir
son appui, mais tout projet de loi ou proposition émanant du Bloc est mort-né,
peu importe sa valeur, car aucun parti fédéral veut s’y associer. Pire, le
brandissement même de l’épouvantail souverainiste à travers le pays aide les
conservateurs à faire le plein de voix et à accroître ses perspectives de
continuer de gouverner. Minimalement le Bloc devrait être logique avec lui-même
et cesser de promouvoir l’indépendance du Québec au niveau fédéral.
À chaque
élection son chef invite les non-souverainistes à voter pour son parti, répète
que «la souveraineté ne se fera pas à Ottawa, mais à Québec» et promet de jouer
un rôle constructif à l’intérieur du Parlement et du Canada. Bien des électeurs
préfèreraient sûrement aujourd’hui que le Bloc modifie ainsi son programme et
travaille en collaboration avec les autres partis à la mise en œuvre d’un
programme emballant qui inclut un renouvellement de la fédération canadienne, mais
s’il n’est pas prêt à le faire, comme cela est le cas présentement, alors ces
mêmes électeurs semblent préférer que le Bloc réduise son rôle ou se retire de
la scène fédérale, et ce, dans l’intérêt des valeurs qu’il prétend défendre.
Troisièmement, alléguer que
MM. Michael Ignatieff et Stephen Harper sont semblables sinon identiques, comme
le font le Bloc et le NPD à l’occasion, est aussi faux que ce que prétendait M.
Ralph Nader aux États-Unis lorsqu’il répétait sans cesse qu’il n’y avait aucune
différence entre les candidats Al Gore et George W. Bush! Certains électeurs se
demandent probablement si les dirigeants du BQ (et du PQ derrière lui) ne
préfèrent pas en fait la politique du pire, espérant ainsi provoquer une
répercussion anti-canadienne et une condition gagnante par le fait même,
lorsque les Québécois ne se reconnaîtront plus dans le discours et les
politiques d’une succession de gouvernements fédéraux ultra-conservateurs.
Quatrièmement, les positions prises par le Bloc
québécois n’ont pas toujours été dans l’intérêt du Québec, quoiqu’ils en
disent. Prenons comme exemples leur vote contre la Loi visant à assurer à tout citoyen et citoyenne un
logement sûr, adéquat, accessible et abordable (C-304), leur appui
original à l’achat sans appel d’offres des avions de chasse F-35, leur soutien
à l’entente à rabais sur le
bois d’œuvre signée par les conservateurs, et, surtout, leur volonté ainsi que celle du NPD en 2004 de
remplacer le premier ministre Paul Martin par le chef de l’opposition et très
conservateur, Stephen Harper, dans le but ultime d’affaiblir le PLC et le
centre politique canadien.
Qui plus est, la plupart des victoires déclarées du
Bloc sont des victoires parlementaires de première instance qui ne modifient en
rien les lois ou politiques du Canada. Et sur les 195 projets de loi émanant
des députés du Bloc depuis 10 ans, un seul a réussi à être adopté, soit la loi
instituant le Jour commémoratif de l'Holocauste. Tout un bilan. Les électeurs
ont raison de se demander ce que contribue réellement le Bloc. Même son rôle
premier comme chien de garde contre tout changement constitutionnel sans
l’accord du Québec est désuet puisqu’une loi fédérale interdit de tels
changements sans le consentement de chacune des cinq régions du pays, dont le
Québec, et aucun changement non consensuel n’est à l’horizon.
Enfin, lorsque les électeurs québécois comparent le bilan et les
perspectives d’un gouvernement Harper aux plateformes électorales du PLC et du
NPD, et dont leur contenu pourraient véritablement être réalisées dans un gouvernement
majoritaire ou minoritaire, il est facile de comprendre pourquoi les électeurs
délaissent le BQ actuel et cherchent une alternative en fin de campagne.
Les Québécois réalisent qu’ils n’auront
pas tout ce qu’ils veulent évidemment sous un gouvernement minoritaire libéral
à Ottawa, appuyé par les néodémocrates, mais leur programme sera hautement
supérieur à ce que nous pouvons nous attendre d’un troisième mandat
conservateur dirigé par Stephen Harper, surtout si majoritaire – le désastre
aux niveaux économique, social (pour les femmes, entre autres), culturel,
environnemental et international.
Cela
expliquerait en bonne partie pourquoi les électeurs délaissent le Bloc et,
suite à réflexion, devraient élire davantage de libéraux au Québec et ailleurs
au Canada – toujours la meilleure alternative à M. Harper – et, si nous nous
fions aux sondages, de néodémocrates le 2 mai.
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et est candidat libéral dans la circonscription de Saint-Jean à l'élection du 2 mai 2011.
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et est candidat libéral dans la circonscription de Saint-Jean à l'élection du 2 mai 2011.