(Pour les mordus - Révisé le 4
décembre 2011)
Comme plusieurs autres grands
partis centristes occidentaux, le Parti libéral du Canada a perdu du terrain
vis-à-vis de ses principaux rivaux et vient de subir sa pire défaite électorale.
Cela ne s’est pas produit du
jour au lendemain. Le PLC perd des appuis depuis des décennies au Québec, dans
l’Ouest canadien et en région rurale pour des raisons spécifiques (ex. changements
constitutionnels, politiques énergétiques et registre des armes à feu,
respectivement), et de façon
générale pour d’autres raisons (ex. commandites, leaders
affaiblis, priorités). Ainsi, sa part du vote global est en déclin depuis 1993
et n’était déjà pas très élevée pendant les années Mulroney.
Qui plus est, le parti aurait
pu exprimer davantage ses valeurs et ses croyances et mieux se concentrer sur
les principales préoccupations des gens dans leur quotidien, soit l’amélioration
de leur niveau et qualité de vie.
En effet, le niveau de vie des
familles de classe moyenne est pratiquement en état de stagnation depuis les
années 1970. Les inégalités, les dettes personnelles, les heures travaillées, et
les niveaux d’anxiété et de stress ont tous augmenté et atteignent des sommets
inégalés depuis des décennies. Sans parler du grand nombre de familles en
situation de pauvreté à travers le pays, dont plusieurs sont en état de
précarité aigüe avec des enfants qui ne mangent qu’un ou deux repas par jour
vers la fin du mois, lorsque l’aide sociale ou le salaire minimum s’épuise.
Il doit donc se remettre sur
les rails de façon remarquable et sincère, en faisant tout en son
pouvoir pour améliorer le vécu des gens, avec compétence, constance, intégrité
et candeur.
Le PLC a déjà fait les
premiers pas en cette direction en tenant un discours franc et en mettant
l’emphase sur l’emploi, l’économie et la santé. Il doit continuer en ce sens
avec des idées et des initiatives attrayantes qui vont confirmer son engagement
à améliorer la vie des Canadiens et des Canadiennes, perfectionner la
gouvernance du pays et changer sa façon de faire.
Mais avant de discuter de ces
idées, il est essentiel de bien comprendre que même un programme plus séduisant,
résolu et tourné vers l’avenir ne suffira probablement pas. Comme d’autres
individus et organismes inspirants, il doit commencer par retrouver et
communiquer le « POURQUOI » de son action.
Commencer
avec « Pourquoi? »
D’après M. Simon Sinek, expert
en leadership et auteur du livre Start
with Why, « Les gens n’achètent pas ce que vous faites. Les gens
achètent pourquoi vous le faites ». C’est le côté émotionnel qui est
responsable de la plus grande part (certains disent de tout) du comportement
humain. Les électeurs peuvent comprendre les politiques, les bénéfices, les
faits et les données, mais ceux-ci n’orientent pas leur conduite. « Alors
nous devons parler directement à ce qui conduit leur comportement et ensuite
leur permettre de le rationaliser », argue-t-il.
La plupart des organismes et
individus commencent naturellement par décrire ce qu’ils font, soit le QUOI, et
certains arrivent à décrire COMMENT ils le font. Très peu d’entre eux par
contre s’attardent à la question plus ambiguë mais centrale : POURQUOI ils
font ce qu’ils font. Les meilleurs leaders, par contre, renversent cet ordre et
répondent avant tout à la question « Pourquoi? », c'est-à-dire leurs
cause, raison d’être, croyances, valeurs, en fait pourquoi leur organisme
existe, pourquoi ils font ce qu’ils font, pourquoi ils se lèvent le matin!
Sinek fournit des exemples de
grands leaders et organismes qui ont répondu avant tout à cette question, en
commençant par la société Apple parce que plus facile à comprendre. Ainsi, la
plupart des compagnies d’ordinateurs débutent en disant « Nous fabriquons
de très bons ordinateurs (le QUOI?). Ils contiennent plusieurs innovations, ont
un beau design et sont faciles à utiliser (le COMMENT?). Voulez-vous en acheter
un? » Pas très inspirant…
Apple et ses fondateurs
commencent plutôt avec le POURQUOI – ce qu’ils représentent et défendent :
« Dans tout ce que nous faisons, nous croyons qu’il faut défier le
statu quo (en fait, changer le monde!). Nous croyons qu’il faut faire
les choses différemment. Nous le faisons en offrant les produits les plus
innovateurs, avec les plus beaux designs et les plus faciles d’utilisation dans
le monde. Voulez-vous en acheter un? » Ou, plutôt, « Voulez-vous vous
joindre à nous? » Ce qui est beaucoup plus inspirant et efficace.
Le candidat Barack Obama a
aussi répondu en premier à la question POURQUOI lors de sa course à la Maison
Blanche. Il croyait que l’Amérique ne remplissait pas sa promesse auprès de la
plupart de ses citoyens, et qu’il fallait fondamentalement changer la direction
du pays et faire la politique autrement, donnant de l’espoir aux gens. COMMENT?
En rapatriant les troupes américaines d’Irak, en améliorant le système de
santé, en prenant le virage vert, en œuvrant avec tous ceux et celles qui
partageaient cette vision (démocrates, républicains et indépendants) et en remettant
les gens au travail. La course à la présidence était ce qu’il faisait, son
QUOI. Il demandait aux Américains de s’y joindre et de le faire non pas pour
lui, mais plutôt pour eux-mêmes, le tout brillamment communiqué dans ses
discours et ses slogans.
Il est assez facile de savoir
ce que le gouvernement Trudeau représentait à l’époque et qui était capté dans
le slogan, « Une société juste », ainsi que celui de Jean Chrétien :
se débarrasser des conservateurs et de leurs politiques (TPS, TLÉ, déficits budgétaires
et manquements à l’éthique) et empêcher la sécession du Québec en réaction au
référendum de 1995.
Avant l’élection du 2 mai 2011,
le PLC se concentrait principalement sur le « Comment », et ce, de
manière peu efficace, manquant de concentration sur quelques questions
prioritaires pour les Canadiens, résistant à la régression conservatrice dans
certains domaines, proposant le statu quo ou de nouvelles politiques et programmes
dans d’autres secteurs. Mais comme Sinek nous le rappelle, le grand discours du
révérend Martin Luther King jr était intitulé « J’ai un rêve ! » et
non « J’ai un plan ! ».
Alors comment les membres du
PLC répondraient-ils à cette question centrale aujourd’hui ? Pourquoi font-ils
de la politique ? À quoi croient-ils ? À quoi rêvent-ils ? Qu’est-ce qui les
motive ? Que défendent-ils ?
Définir notre « Pourquoi »
Sinek suggère de regarder non
pas vers l’avenir, ce que le parti veut accomplir, à partir de
planification stratégique, d’études de marché, de groupes de discussion (focus groups) ou de rencontres avec des
électeurs. Il propose plutôt qu’il se tourne
vers son passé, ses éthos, les raisons qui ont inspiré ses membres à se
joindre à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. La réponse réside dans ses
orateurs précédents et dans le fond de chacun d’entre eux aujourd’hui.
Les mots précis qui
définissent la cause, la raison d’être et les croyances de ce parti pourraient
être trouvés ou finalisés par un petit groupe représentatif avec l’appui de
quelques professionnels des communications. Ils devraient ensuite être exprimés
avec force, passion et crédibilité par le chef du parti lors de discours et
d’occasions majeurs (ex. lors du congrès de janvier prochain), appuyé par des
images et des cas réels. D’autres porte-parole au sein du parti aux niveaux
local et national pourraient reprendre les principaux éléments de ce POURQUOI
et les répéter, parfois dans leurs propres mots. Quelques slogans attrayants et
appropriés seraient alors conçus afin de promouvoir notre Pourquoi.
Une fois que le parti commence
de nouveau à toucher le cœur des citoyens en réclamant son Pourquoi et en l’exprimant
haut et fort, il doit l’appuyer avec des idées et des initiatives qui
confirment non seulement celui-ci, mais aussi fournissent aux électeurs les
raisons rationnelles de d’appuyer les libéraux. Tel que mentionné ci-dessus, il
doit démontrer qu’il est des plus sérieux lorsqu’il dit qu’il veut améliorer substantiellement
la vie des gens, perfectionner sa gouvernance et changer ses façons de faire.
Voici COMMENT.
Comment soutenir son « Pourquoi »
Un vieux dicton en collecte de
fonds pour œuvres de charité relate que c’est le cœur qui nous porte à vouloir donner,
mais que c’est le cerveau qui nous porte à écrire le chèque! Une grande cause
doit donc proposer aux gens un plan d’action efficace et leur donner confiance
que ce plan sera réalisé, au moindre coût.
Ainsi, les bonzes du PLC
doivent proposer aux électeurs les meilleurs politiques publiques qu’ils
peuvent formuler et, là où ils n’ont pas encore de solutions précises, le
meilleur processus pour les développer. Certes, ils devront distinguer entre le
court et le moyen/long terme, faire face à certaines de ses faiblesses passées
tout en regardant vers l’avenir, et être assez audacieux pour piquer
l’imaginaire des gens. Le tout en étant conscient des anxiétés des citoyens et
citoyennes face à une économie chancelante et la gouvernance en général. Et ils
doivent aussi garder à l’esprit les contre-offensives probables des autres
partis.
La stratégie, le timing, la
séquence, les alliances, l’obtention de succès rapides, l’apprentissage et l’obtention
de la confiance des citoyens, entre autres, font tous partie du processus de
planification et d’exécution. Voici quelques idées en lien avec ce POURQUOI et
les préoccupations de la plupart des électeurs à l’heure actuelle, présentées
en ordre chronologique, en commençant par les communications :
1. Prononcer de GRANDS discours – Le chef intérimaire Bob Rae est déjà assez
doué à ce niveau. Les mots sont importants, ils définissent le leader et son
parti, inspirent et mobilisent les citoyens, et sont une des seules choses
qu’il a à sa disposition en situation d’opposition. Le leader du parti a besoin
davantage de phrases mémorables, exprimant son POURQUOI et son COMMENT avec
force, cœur et authenticité. Lui et ses députés doivent aussi personnaliser les
problématiques en rencontrant des citoyens et citoyennes et écouter
attentivement leur vécu, leurs difficultés et leurs solutions – ils savent où le
bât blesse. Ils pourront alors faire référence spécifique à de tels cas, en
leur présence ou dans ses discours.
2. « C’est (toujours) l’économie, stupide! » (court
terme) – Suite à la
Grande récession de 2008-2009 et devant le présent ralentissement, le PLC doit
continuer à mettre l’accent sur l’emploi et l’économie en général : exiger
que le gouvernement retarde les coupures anticipées dans ses dépenses,
maintenir les prolongements exceptionnels de l’AE, assurer les besoins
essentiels de nos citoyens, mettre en place les mesures nécessaires aux niveaux
national et international pour qu’un tel dérapage ne se reproduise plus, etc.
Ne pas attendre d’être de nouveau en période de récession avant d’agir. Il est
hautement plus facile de corriger une réaction démesurée qu’une réaction
insuffisante.
3. Éliminer la mauvaise gestion et le gaspillage – Avant même de commencer à parler de
ce que le parti aimerait faire de plus, il devrait déclarer qu’il va entreprendre
une étude de tous les programmes et pratiques de gestion. Bien des Canadiens
seraient plus enclins à payer leurs impôts et taxes s’ils ne croyaient pas que
les gouvernements gaspillent, dépensent allègrement et gèrent mal leurs
dossiers et leurs revenus. Les responsables devraient analyser les raisons des dépassements
de coûts et gaspillages antérieurs et proposer des changements structurels, de
procédure et de suivi afin d’éviter de tels problèmes à l’avenir. Le parti
libéral a déjà commencé à en identifier lors de ses conférences de presse
intitulées, « Mercredi du gaspillage ».
4. Renforcer la responsabilisation – Toujours pour regagner la confiance
des gens, les libéraux devront démontrer hors de tout doute qu’ils sont engagés
à combattre la corruption et corriger ses manquements passés, parce qu’ils en sont
toujours stigmatisés (le problème ne disparaîtra pas en l’ignorant). Ils
devront : a) Vérifier qu’il n’y a pas de corruption et de collusion dans les
industries invitées aux appels d’offres du gouvernement fédéral; b) Renforcer
la Loi fédérale sur la responsabilité; et c) Renforcer la gestion et la
responsabilité financière à tous les niveaux internes du parti.
5. Accroître notre niveau et qualité de vie (moyen et long
termes) – Le PLC doit
porter cette question plus que tout autre parti, en examinant en profondeur
avec experts et parties prenantes pourquoi le niveau de vie de la classe
moyenne stagne à toutes fins pratiques depuis des décennies et sortir avec des
propositions crédibles et inspirantes qui renverseront cette tendance et les
inégalités croissantes. Le processus doit être inclusif et édifiant,
fournissant à la fois une occasion et un moment « d’apprentissage ».
6. Améliorer notre système de santé publique – Étant donné les négociations à venir
sur la contribution du fédéral aux systèmes de santé provinciaux et la
préoccupation des citoyens à ce sujet, il devra être des plus clairs à propos
du maintien du système de santé public et son désir de travailler avec les
provinces afin de l’améliorer. Beaucoup d’études ont été réalisées au Canada et
ailleurs, des tendances et meilleurs pratiques identifiées et des idées
proposées par une panoplie d’acteurs, dont des chercheurs, des universitaires
et centres de recherche, des associations professionnelles, des praticiens, des
fournisseurs de services, des organisations sociales et d’autres parties prenantes.
7. Réformer notre démocratie – Étant donné le niveau de mécontentement et les taux de
participation aux élections à travers le pays, le parti devrait mettre en place
dès maintenant un processus afin d’identifier des moyens d’améliorer nos
systèmes électoral, parlementaire et de gouvernance. Au préalable, il faudra
décider s’il veut ouvrir complètement l’ordre du jour ou structurer la
discussion autour de quelques sujets précis, tels que : la représentation
proportionnelle, le 2e tour, le scrutin préférentiel, etc.; la
limite des dépenses entre les élections et le contrôle indépendant de la
publicité gouvernementale; le financement des partis et des campagnes; le
renforcement du rôle et des pouvoirs des députés, des comités parlementaires,
et des budgets du directeur parlementaire du budget et du vérificateur général;
la période de question; la parité de genre; le nombre total des sièges au
Parlement et leur distribution; la réforme de la constitution; les gouvernements
minoritaire et de coalition; la polarisation dans les médias traditionnels; et
autres sujets pertinents.
8. Se doter d’un grand objectif audacieux? (Big Hairy Audacious Goal) – En regard de ce qui précède, est-ce
que le pays devrait se doter d’un grand objectif inspirant, prometteur et
audacieux, qui aurait un effet « boule de neige » et qui mobiliserait
une part importante des énergies et des ressources dans une même direction pour
le bien commun? Si oui, le parti devra évidemment être conscients des bénéfices
et des coûts d’une telle entreprise, des priorités actuelles des gens et de l’opposition
potentielle de diverses sources. Cela exigera donc une évaluation en profondeur
avant de prendre une décision et, s’il va de l’avant, l’élaboration de la
meilleure stratégie, le développement de consensus et d’alliances, et une
excellente communication. Voici quelques idées dont certaines sont plus
audacieuses que d’autres :
a)
Faire du Canada un
État libre de pétrole avant l’an 2040 (ou à tout le moins un État libre de
GES où les émissions sont réduites de 80% ou plus), dont l’objectif premier est
de réduire la facture mensuelle d’hydrocarbures des citoyens et des
entreprises, de renforcer notre économie en dépensant ces sommes chez nous et
de contribuer à la réduction des GES. Cela exigerait la mobilisation d’une
bonne partie de notre économie et l’utilisation de divers moyens pour y
arriver, mais ne veut pas dire que l’industrie pétrolière et gazifière au pays
devrait fermer ses portes. Elle pourrait continuer d’extraire, de raffiner et
de vendre ses produits sous des conditions admissibles, soit le maintien en
santé des communautés locales, le respect des cibles nationales de GES, la
restauration des terres et, éventuellement, la vente uniquement aux pays qui respectent
les accords internationaux de réduction de GES.
b)
Trouver un remède
pour une maladie en particulier. Beaucoup d’argent est déjà investi en
recherche sur le cancer et d’autres maladies au niveau mondiale, mais certaines
lignes d’investigation pourraient être suivies et générer beaucoup d’intérêt
créatif. Le Canada (le Québec en particulier) a déjà une industrie
pharmaceutique et des centres de recherches universitaires à la fine pointe,
qui pourraient être développés davantage. Cela attirerait des chercheurs,
créerait des emplois bien rémunérés et produirait beaucoup de bénéfices
secondaires. Par exemples, pour un type de cancer ou les maladies du cœur.
c)
Éliminer la
pauvreté d’ici 15 ans, en respectant les juridictions et sans accroître le
total des dépenses gouvernementales sur une décennie, par des campagnes
d’alphabétisation et autres formations, des programmes de stages, du logement
social, en permettant aux bénéficiaires d’aide sociale, d’AE ou du SRG de
garder progressivement leurs revenus gagnés par le travail, etc. Bien des
groupes sociaux demandent depuis longtemps une politique nationale
anti-pauvreté et un nombre d’études ont été réalisées à ce sujet. Le parti
devra s’assurer par contre que la classe moyenne ne va pas devoir payer
davantage, mais plutôt sauvera à la fin, tout en créant une société plus
efficiente et égalitaire.
d)
Créer un Program
national d’internat, régit par les provinces et qui offrirait aux récents
gradués, aux sans-emploi et sous-emploi en transition, et aux récents immigrants
des stages de 3 à 12 mois afin de gagner de l’expérience de travail dans les
secteurs privé, public ou sans-but-lucratif. Cela existe déjà dans différents
métiers et dans plusieurs universités (programme coop). Quelques pays ont de
tels programmes nationaux et pourraient être examinés et adaptés.
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et fut candidat libéral en 2009 et 2011.
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et fut candidat libéral en 2009 et 2011.