(Ce texte est un
extrait amendé d’un document remis au PLC le 19 mars
2014)
Cela
fera 30 ans en septembre que le parti historiquement des francophones, des
allophones et d’une bonne partie des citadins anglophones, le Parti libéral du
Canada, n’aura pas remporté une majorité de sièges au Québec, soit depuis le rapatriement
de la constitution. Depuis 1984, les conservateurs, les bloquistes et les
néodémocrates ont tous réussi au moins un fois à gagner plus de 50% des
circonscriptions, mais jamais les libéraux.
Le
PLC est remonté dans les intentions de vote au Québec depuis l’élection
générale de mai 2011 et, à 32%, n’était qu’à un point de pourcentage du NPD à
la tête du sondage CROP d’avril dernier. Ce soutien est attribuable à divers
facteurs dont : nouveau chef charismatique, jeune et affable, récupération
d’une partie du vote fédéraliste, incarnation du changement pour certains, meilleures
politiques publiques et chance de vaincre les conservateurs. Cependant l’appui
du parti a chuté de huit points depuis janvier dans l’ensemble du Québec et ne
se situe qu’à 24% parmi les électeurs francophones, ce qui est nettement en
dessous du 38% des néodémocrates. Tous les sondeurs et commentateurs s’entendent
sur le fait que le soutien au PLC est fragile.
Ainsi,
une part non négligeable de l’électorat est prête à donner une chance au
coureur, surtout si le chef libéral peut déloger les conservateurs du pouvoir,
mais sont en attente qu’il fasse ses preuves avant de lui octroyer leur appui.
Ils ne se sont donc pas faits une opinion définitive à son égard encore, mais
le font de plus
en plus à chaque fois qu’ils le voient dans les médias d’information, et ce, en
attendant une nouvelle tentative des conservateurs de définir à leur manière le
jeune chef. Une fois que ces gens se font une opinion par contre, « il
faut de la dynamite pour les amener à changer d’opinion, » de dire un vieux
routier des campagnes électorales. Chaque discours, chaque événement, chaque
énoncé de politiques est une occasion de marquer des buts dans le filet adverse
ou… dans son propre filet.
Du
point de vue du Québec francophone, le congrès biennal du parti au Palais des
congrès en février dernier a été perçu par plusieurs délégués libéraux
francophones (lire les citations dans la chronique d’Hélène Buzzetti dans Le
Devoir le lendemain du congrès) et la plupart des commentateurs (même ceux
sympathiques au parti) comme un échec. Lysiane Gagnon titrait sa chronique dans
le G&M, « Did the Liberals
Forget Quebec? », et André Pratte dans son éditorial, « Une
occasion manquée, » pour ne nommer que ceux-là.
Voire
une autre occasion manquée de marquer un pas de plus dans la réconciliation
entre le PLC et ces électeurs indécis, à un point tel que certains se demandaient
si le parti n’avait pas mis une croix sur l’électorat francophone et
majoritaire dans plus de 50 circonscriptions au Québec, afin de mieux se
pencher sur l’électorat anglophone et allophone à travers le pays, à l’instar
de M. Harper justement, et de mieux barrer la route au NPD dans le
« ROC ».
Sans le Québec francophone
Une
approche envisageable, certes, que de fins stratèges pourraient recommander
serait de tenir une position ferme et peu conciliante envers le Québec, ou qui
l’ignore en grande partie, vis-à-vis celle du NPD mal connu au Canada, soit
leur Déclaration de Sherbrooke. Une telle stratégie pourrait non seulement
accroître les appuis du parti à leur dépend hors Québec, mais même chez tous
les « trudeauistes » dans la province, peu importe leur langue. En
fait cela a déjà commencé, raison partielle de l’augmentation des appuis au
parti dans les sondages autant au Québec qu’à l’extérieur. Qui plus est, si le
PLC est perçu de plus en plus comme le meilleur véhicule pour se débarrasser du
gouvernement Harper, ces appuis augmenteront davantage, en autant bien entendu que
le parti demeure près du centre politique.
Une
telle stratégie pourrait conférer un gouvernement majoritaire au PLC, semblable
à ce que le PCC a réussi en 2011, mais plus difficilement sans ces 50 sièges au
Québec compte tenu du retard du parti dans l’ouest canadien et plusieurs
régions rurales et périurbaines ailleurs au pays. Un gouvernement minoritaire
est beaucoup plus probable si les intentions de vote se maintiennent, quitte à
obtenir l’appui du NPD (ou du PCC?) pour gouverner suite à des négociations avec
ces deux partis tel qu’en 1963-68, 1972-74 et 2004-06, c.-à-d. sans pour autant
former de coalition (une coalition avec un parti fédéraliste, centriste et
uniquement québécois serait envisageable mais un tel parti n’existe pas à
l’heure actuelle). Cela pourrait en faire une stratégie alléchante pour
certains mais serait une erreur grave.
Contraire
à ce que représente et devrait toujours représenter le parti libéral, contraire
à ce que défendait M. Trudeau père et défend toujours M. Trudeau fils, et contraire
à ce que le pays a besoin de part et d’autre de la frontière linguistique, une
telle stratégie qui exclut à priori 23% de la population canadienne serait des
plus néfastes :
À court terme : En
plus des mille et une bonnes raisons de vouloir succéder à ce gouvernement
néoconservateur autoritaire, le Canada gagnerait à se doter d’un premier
ministre qui a un appui indéniable au sein de la population québécoise de
langue française, autant sinon plus que pour toute autre région au pays à cause
de la nature plus progressiste de l’électorat québécois et de la dualité du
pays. Cela pour mieux gouverner avec d’autant plus de légitimité.
À moyen terme : Le
changement de paradigme à l’égard du Parti libéral du Canada qu’a provoqué le
rapatriement de la constitution en 1982 sans l’accord du Québec se poursuivra
et risque de se renforcer avec l’absence quasi complète de représentants de
circonscriptions québécoises majoritairement francophones au sein du parti et
de tout future gouvernement libéral à Ottawa (à moins de former un gouvernement
de coalition...) Aucun parti n’a réussi depuis 30 ans à répéter l’exploit de réconcilier
et joindre les deux solitudes et, ainsi, bâtir une « coalition »
réunissant un appui substantiel au sein des deux communautés, ce qui a commencé
avec Laurier et fini avec Mulroney. Le PLC a simplement cessé d’être perçu
comme un défendeur des intérêts des francophones du Québec à presque tous les
niveaux. Peut-il faire mieux sans pour autant se dénaturer ? La dernière fois
qu’il obtenait la confiance de l’ensemble de la province c’était lorsque son
chef défendait bec et ongles le fait français à Ottawa (bilinguisme au sein de
l’appareil et des services fédéraux, « French Power » au sein du
gouvernement, tentatives de réformes constitutionnelles avant 1981, entre
autres).
Une
autre approche est envisageable et essentielle pour le bien commun, que nous
examinerons demain.
Stratégie inclusive
Si
le Parti libéral du Canada veut vraiment faire des percés substantielles au
Québec francophone, il devrait rehausser son jeu le plus tôt possible. En voici
des éléments :
Permettre de voter pour le PLC
: Oui, Justin et le parti possèdent des atouts indéniables, tentent de
changer le ton et la pratique de la joute politique et ont déjà pris un nombre
d’engagements qui, pour la plupart, répondent aux attentes des Québécois, tels
que la priorité à la classe moyenne, le développement économique, la réduction
de la pauvreté et des inégalités, et la reprise des discussions avec les
provinces à propos des transferts en santé et en éducation, entre autres. Malheureusement,
cette liste est insuffisante car la réponse va au delà de telles prises de
position.
Comme
l’ont fait les conservateurs en décembre 2005 et le NPD de Jack Layton avant
2011, un certain nombre de choses doivent être dites, faites et répétées de
façon convaincante afin de pouvoir représenter de nouveau une bonne partie de
l’électorat francophone et se donner les meilleures chances de gagner la
prochaine élection générale en comptant davantage de sièges au Québec. Sans
renier ce que le parti et son chef sont, ni faire des promesses électoralistes
que tous savent ne pourront être respectées, le chef devraient mettre l’accent sur
plusieurs des éléments suivants dans ses discours, tout comme il a commencer à
le faire lors du congrès du PLC(Q) en mai dernier. Il est sûrement possible d’améliorer
cette liste :
1.
Relations
fédéral-provincial : Nouvelle approche plus conciliatrice et
rassembleuse, en répétant les promesses déjà émises de reprendre les discussions
sur divers sujets (transferts en santé et éducation, assurance-emploi, etc.),
ainsi que les rencontres fédéral-provincial annuelles. Non seulement est-ce
beaucoup mieux pour la fédération, c’est un dossier fait sur mesure puisque JT
fait déjà la promotion d’une nouvelle approche à la politique et à ces relations,
c’est ancré dans sa personnalité et ça définit son propre style de leadership,
davantage facilitateur et orienteur qu’autoritaire. Cela le démarque aussi
clairement de ce qu’est devenu le PCC de M. Harper.
2.
Programmes
et transferts fédéraux : À titre d’exemples et d’engagements déjà annoncés,
il serait important de réitérer la volonté du parti de négocier le
renouvellement des transferts financiers dans les domaines de la santé et de
l’éducation, de discuter des modifications à l’assurance-emploi et de respecter
les récentes ententes sur la formation de la main d’œuvre avec les provinces
dont le Québec (ou de les renégocier s’ils le souhaitent?). En plus, une
promesse de ne pas imposer de nouveaux programmes nationaux sans discussion et
moyens de retrait comme ce fut le cas sur la santé (sous Chrétien et Bouchard)
et la formation de la main d’œuvre (sous Harper et Marois) serait fort
bienvenue.
3. Défense
du français : Justin y tient, non seulement ailleurs au Canada
mais au Québec également, et donc répéter que c’est absolument essentiel pour
le Québec et le Canada de préserver et promouvoir cette langue, dans le respect
de la minorité anglophone. Il y a moyen de le dire correctement. Cela devrait inclure
un soutien réitéré à la loi 101 tel qu’elle fait consensus assez largement
aujourd’hui. La défense du français comprend aussi le renforcement du
bilinguisme au niveau fédéral dont l’obligation de pouvoir communiquer dans les
deux langues pour les juges de la Cour suprême et les officiels et officiers du
parlement, entre autres, et que le parti et son chef soutiennent déjà.
4. Développement
et promotion de la culture québécoise : C’est bon
autant pour notre mieux-vivre que pour le développement économique. Le Québec
est surdoué au niveau de la créativité artistique dans toutes ces dimensions et,
donc, son développement et sa promotion ne peut qu’être bénéfique et apprécié.
5. Rôle
international du Québec : Le PM Jean Chrétien a accepté
les changements que son prédécesseur avait adoptés concernant la place du
Québec et autres provinces au sein de la Francophonie et notre nouveau chef
devrait promettre de faire de même, ainsi que respecter ceux concernant
l’UNESCO, voire même améliorer ce rôle « selon des modalités analogues à sa
participation à la Francophonie » comme l’avait promis M. Harper à Québec
en 2005, dans les champs de juridictions exclusives provinciales, là où cela
est possible. Le Canada est assez solide pour permettre aux autochtones, aux
Acadiens et aux Québécois, entre autres, de s’exprimer directement.
6.
Mesures
contre la corruption : Sujet de prédilection s’il n’y en a un, quelques
mesures ont déjà été apportées par le chef mais il faut s’assurer d’aller
beaucoup plus loin en renforçant la Loi fédérale sur la responsabilité (comme
le parti l’a proposé en 2006) et
resserrer les moyens de vérification des parlementaires, de l’appareil
gouvernemental et des partis politiques jusqu’aux niveaux des associations. Nous
pourrions également proposer des mesures pour empêcher que des stratagèmes dans
les appels d’offres, l’octroi de contrats, les contributions aux partis
politiques, etc., semblables à ceux révélés à la Commission Charbonneau ne se
répètent pas au fédéral.
7.
Changements
constitutionnels : Difficile d’éviter le sujet, ce qui serait
forcément mal vu et rappelé à la première occasion. Étant donné les positions
prises par le chef du parti par le passé et le fait que 71% des Canadiens hors
Québec s’opposaient à la reconnaissance du Québec, il ne reste que deux
choix : continuer d’évoquer que se sont de vielles chicanes et loin des
priorités des gens ou tenter d’expliquer et d’adoucir cette position. Comment? En
réitérant que le parti reste ouvert aux changements constitutionnels qui font
consensus; que le chef respectera la loi de 1995 donnant un véto à chaque
région et aimerait la voir enchâssée dans la constitution un jour; qu’il
reconnaît évidemment le fait français au Québec et sa culture; qu’une telle
reconnaissance du Québec est déjà prise en considération par les tribunaux et que
ce serait de toute évidence difficile à faire accepter étant donné les craintes
d’abus des droits des minorités (affichage unilingue, interdiction des symboles
religieux, etc.) et le désir d’autres groupes d’être reconnus à leur tour dans
un pays aussi diversifié.
8.
Rappel :
Enfin rappeler de manière succincte à la fin des discours certains des éléments
suivants qui sont populaires au Québec et rappeler que le PLC sera
vraisemblablement le meilleur moyen de se débarrasser des néoconservateurs de
M. Harper à Ottawa en 2015 :
· Classe moyenne :
priorité à l’amélioration de sa qualité de vie, dont aux niveaux économique et
social, et à la réduction des inégalités.
· Pauvreté :
réduction de la pauvreté pour le vrai, amélioration des pensions de vieillesse
et SRG, le logement social, etc., avec les provinces (élimination de la
pauvreté d’ici 2030 en accord avec les Objectifs de développement durable
post-2015 de l’ONU).
· La politique autrement:
moins d’attaques, de partisannerie, de tricheries, de secrets, etc.;
renforcement du Parlement, du rôle des députés, de notre système électoral, de
nos institutions démocratiques, des droits de nos scientifiques (retour du
recensement détaillé), des officiers du Parlement, fin des lois omnibus, etc.
· Environnement :
promesse de PLC d’établir « une politique environnementale rigoureuse », en accord avec les ententes internationales
à venir (Sommet de Paris en 2015) et qui permettront plus aisément le
développement et la vente de nos ressources naturelles au Canada et à
l’étranger.
· Armes à feu :
Appui à la revendication du Québec et toute autre province de maintenir son
propre registre des armes à feu à partir du registre fédéral, mais malheureusement
sans retour à l’enregistrement des armes d’épaule à la grandeur du pays
cependant. Pour compenser en partie, promettre de réviser la liste des armes
prohibées, à autorisation restreinte et sans restriction.
· Politique internationale :
retour à notre rôle progressiste, équilibré et indépendant.
· Postes Canada :
retour des livraisons à domicile et aux places d’affaires (2-3 fois par semaine
pour tous au lieu de livraisons quotidiennes).
· Pont Champlain :
aucun péage par les utilisateurs pour la construction et l’entretien, mais avec
l’intégration de transports en commun efficaces et attrayants.
· Gaspillage :
moins de dépenses militaires non-nécessaires et de cafouillage dans les achats
d’équipements et autres endroits. M. Ralph Goodale a aussi proposé plusieurs
améliorations.
· Marijuana :
légalisation ou à tout le moins décriminalisation de petite possession.
· Mort assistée :
entamer un débat public sur la décriminalisation de la mort assistée, à
grandeur du pays comme l’a fait récemment le Québec.
9. Réponses
aux critiques prévisibles : Préparer à l’avance les
meilleures réponses aux critiques prévisibles qui reviennent régulièrement,
sans langue de bois, sur les sujets suivants : le multiculturalisme
canadien (ça ne crée pas de ghettos), le bilinguisme dans les institutions à
charte fédérale au Québec (la plupart utilise le français), les changements
constitutionnels et la reconnaissance du Québec, la Loi sur la clarté
(nécessaire pour s’assurer qu’une véritable majorité simple veut
l’indépendance), l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser et la corruption.
10. Grand objectif audacieux :
Viser un tel
objectif a pour effet de mobiliser un large segment de la population pour le
bien commun. Voici quelques idées dont certaines sont plus audacieuses que
d’autres : accroître le niveau de vie médian de la classe moyenne de X% d’ici 10
ans; mettre fin à la pauvreté au Canada (d’autres pays ont réussi à le faire); établir un revenu annuel garanti; faire du
pays un État libre de GES (ou presque) d’ici 2050; établir un programme d’internats rémunérés ouvert aux étudiants,
chômeurs et récents immigrants; adopté une Charte sociale consensuelle; découvrir
les moyens de guérir le cancer d’ici 20 ans dans un programme conjoint avec les
États-Unis ou l’Europe; autres idées?
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et fut candidat libéral en 2009 et 2011
Robert M. David enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia et fut candidat libéral en 2009 et 2011