(Traduction de mon texte publié dans le quotidien torontois, The Star, le 10 février 2016)
Le changement d'approche stratégique
du nouveau gouvernement canadien contre le groupe extrémiste État islamique (ÉI
ou Da’esh), tel qu'annoncé la semaine dernière, est non seulement défendable
mais aussi souhaitable.
Tous les experts interrogés depuis le lancement de la campagne de bombardements aériens par une coalition internationale il y a 18 mois sont unanimes : bien que les frappes aériennes soient utiles, il est indispensable d’avoir des « troupes au sol » (boots on the
ground) afin
de regagner le terrain perdu et ultimement vaincre l'État islamique en Irak et
en Syrie.Tous les experts interrogés depuis le lancement de la campagne de bombardements aériens par une coalition internationale il y a 18 mois sont unanimes : bien que les frappes aériennes soient utiles, il est indispensable d’avoir des « troupes au sol » (boots on the
Il est donc logique d'abord et avant
tout d’équiper, de former, de conseiller et d’aider les troupes irakiennes, les
miliciens sunnites, les forces peshmerga et les rebelles syriens modérés qui
mènent la lutte à Da’esh, d'autant plus qu’aucun pays voisin ou membre de la coalition
a jusqu'à ce jour engagé ses propres forces terrestres directement contre l’ÉI,
et ce, à juste titre.
Si le retrait des six CF-18 canadiens,
libérant ainsi entre 243 et 351 millions de dollars par année en dépenses
additionnelles, était justifiable avant les attaques terroristes de l'automne
dernier réclamées par l’ÉI, il l’est davantage maintenant que le tempo de
bombardements s’est accentué au point de manquer de cibles crédibles.
Le nombre de munitions larguées par
sortie des forces alliées a accru de 30 pourcent depuis 2014-2015, portant ce
nombre à plus de 30.000 à ce jour. Qui plus est, le Royaume-Uni a ajouté la
Syrie dans sa mire et la France a triplé ses frappes aériennes après le carnage
de Paris qui a laissé 130 morts.
Et la Russie s’est immiscée dans la
guerre aérienne avec vengeance, déployant missiles de croisière, bombardiers à
longue portée et MiG, dont 12% ciblent l’ÉI en Syrie, suite à l’attentat au
dessus du Sinaï qui a fait 224 victimes à bord le vol 9268 de Metrojet, acte
réclamé par Da’esh l'automne dernier.
Cependant, il y a d'autres raisons fondamentales
pour recentrer l'effort diplomatique et militaire derrière les forces locales.
La lutte contre l’État islamique doit être menée par les gens de la région et
non par les Occidentaux, et être perçue ainsi.
En premier lieu, les Irakiens et les
Syriens appartenant aux divers groupes ethniques et religieux doivent eux-mêmes
dégager les compromis politiques nécessaires qui les amèneront à vivre en paix,
puis à les défendre. Le mauvais traitement et le massacre de musulmans sunnites
en Syrie et sous l'ancien premier ministre Nouri al-Maliki en Irak, après le
retrait des troupes américaines en 2011, expliquent en bonne partie pourquoi
l’ÉI a pu recruter d'anciens commandants militaires sunnites sous Saddam
Hussein et a été toléré par plusieurs dans les communautés sunnites de ces deux
pays.
En second lieu, la tenue de réunions
stratégiques anti-Da’esh qui n’incluent que les puissances occidentales de la
coalition « dirigée par les É.-U. », telle que celle de Paris le mois
dernier à laquelle le Canada n'a pas été invité, renforce le faux récit
djihadiste d'un conflit entre christianisme et judaïsme, d'une part, et l’islam
d'autre part, entre Arabes et Européens, voire entre civilisations, et agit
comme puissant outil de recrutement.
Enfin, en se concentrant sur le
retrait de nos CF-18 et autres aspects militaires, nous négligeons les fronts politiques
et humanitaires tout aussi, sinon plus, cruciaux.
Encore une fois, presque tous les
experts conviennent que la guerre ne suffira pas à vaincre l’ÉI et autres djihadistes
dans la région et ailleurs. La collecte de renseignements, la lutte contre la
propagande extrémiste et le recrutement, l’atteinte d’un cessez-le-feu et un changement
de régime en Syrie (ou à tout le moins de gouvernement), et le renforcement de la
gouvernance irakienne, l'équité et la sécurité des diverses communautés, sont
indispensables.
Le Canada a le statut diplomatique
et la capacité de contribuer de manière significative dans ces domaines, tant au
niveau bilatéral et qu’en collaboration avec nos alliés, que ce soit en
publique ou en privé.
En outre, notre aide humanitaire supplémentaire
contribuera à atteindre les 9 milliards de dollars pour l’année 2016 seulement requis
pour venir en aide aux 12 millions de Syriens déplacés à l'intérieur et réfugiés,
qui ont eu peu de secours et d'espoir depuis le début du conflit syrien en avril
2011, menant un grand nombre d’entre eux à fuir vers l'Europe et ailleurs.
La bonne nouvelle est que la
stratégie globale de la coalition semble fonctionner, bien que lentement. L’ÉI perd
plus de terrain qu’il en gagne en Irak et en Syrie dernièrement. La nouvelle
politique du Canada permettra d'accélérer ces développements positifs et devrait
être appuyée.
Robert M. David enseigne à l'École de développement international et
mondialisation, Université d'Ottawa. Il était candidat libéral au niveau fédéral
en 2009 et 2011. Les vues exprimées sont uniquement celles de l’auteur.
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