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Commentaires qui invitent à la réflexion sur l’actualité politique, en français ou en anglais / Thought-provoking comments on political developments, in English or French

2008/09/18

L'ABC de la campagne électorale fédérale de 2008

Un mouvement s’élève progressivement depuis le début de la présente campagne électorale en opposition à l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur le 14 octobre 2008, et ce, tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Plus étonnant, ce mouvement rallie non seulement des libéraux, des socio-démocrates et des écologistes, mais un nombre grandissant de conservateurs modérés.

Surnommé «ABC» ou Anybody But Conservative au Canada anglais, la plus fulgurante sortie en règle de ce mouvement hétéroclite fût celle du premier ministre conservateur de Terre-Neuve le 10 septembre, Danny Williams, contre les promesses non tenues du gouvernement Harper à l’égard des transferts fiscaux à sa province. En Ontario, le Parti conservateur a perdu la première place dans les comtés serrés, d’après le plus récent sondage du Strategic Counsel. Même les anciens premiers ministres Kim Campbell et Joe Clark ont dénoncé en pleine campagne électorale les politiques du gouvernement Harper à l’égard des changements climatiques.

Le Québec n’est pas étranger à cette réticence croissante de confier les pleins pouvoirs à l’équipe conservatrice actuelle, suite à une analyse plus approfondie de leur 30 mois au pouvoir et de ce qui est prévisible au cours d’un prochain mandat conservateur. Il y a bien sûr les objections bien connues de la grande majorité des Québécois et des Québécoises à l’approche des conservateurs envers l’environnement (abandon de Kyoto, obstruction à une nouvelle entente Kyoto plus), le militaire (croissance fulgurante des dépenses, extensions de la participation canadienne au conflit afghan, volonté probable de participer à de nouvelles guerres aux côtés des É.-U.), le social (dénégation de certains droits des femmes, des gais et lesbiennes et des autochtones) et le culturel (censure et coupures). Mais il y a plus que cela.

Bien des gens commencent à comprendre que les politiques économiques erronées des néoconservateurs au Canada comme aux États-Unis sont les premières responsables de la dégringolade économique et financière spectaculaire des deux côtés de la frontière: déréglementation des grandes institutions financières menant à leur faillite et à des pertes énormes chez les petits investisseurs dans les marchés boursiers – voire à une possible récession mondiale; développement pétrolier et minier tout azimut au Canada, poussant le dollar canadien à des sommets inégalés et causant des milliers de pertes d’emplois dans les secteurs manufacturier et forestier au Québec et en Ontario (voir «la maladie hollandaise» sur votre moteur de recherche internet); diminution des impôts des pétrolières canadiennes de 50 million de dollars; coupures dans les programmes de développement économique locaux; laxisme budgétaire renouvelant avec les déficits fédéraux cette année, suite aux réductions d’impôts et augmentations des dépenses dans les programmes de 11%; etc.

Et voilà que nul autre que l’ancien chef du Parti progressiste-conservateur et premier ministre du Québec, Jean Charest, ajoute sa voix pour dénoncer les coupures de 45 million $ dans les programmes culturels, le non règlement permanent du déséquilibre fiscal, les critiques de M. Harper à propos des réductions d’impôts de 700 million $ du gouvernement Charest pendant la campagne électorale de 2007 et le plan de créer une commission des valeurs mobilières unique au Canada, entre autres.

Pour ces raisons et bien d’autres, un nombre grandissant d’électeurs ne veulent pas que le Québec et l’Ontario confie une majorité absolue au Parti conservateur dont la base militante demeure principalement composée d’anciens réformistes – un amalgame de néoconservateurs et de fondamentalistes religieux – et non de conservateurs québécois.

De dire l’ancien bras droit et chef de cabinet du premier ministre Brian Mulroney, M. Normand Spector, dans les pages du Devoir récemment, «M. Harper sait que l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur soulèverait des attentes dangereuses chez les purs et durs de la droite canadienne. Le premier ministre se devrait de mettre en application des politiques qui dépassent largement les limites consensuelles de l’opinion publique canadienne, notamment pour des questions comme l’avortement… Il serait de toute manière préférable que M. Harper demeure minoritaire au terme de la campagne actuelle. La paix sociale serait mieux préservée au pays».
Non convaincu? Vous n’avez qu’à lire l’ancien magazine Alberta Report et ses successeurs, les écrits du stratège du premier ministre Harper, M. Tom Flanagan, les rapports de l’Institut Fraser et du Manning Centre for Building Democracy ou simplement le quotidien National Post, pour vous faire une idée de ce qui s’en vient.

Afin d’aider à convaincre suffisamment de nos concitoyens et concitoyennes à ne pas confier de majorité à ces conservateurs et à voter pour un autre parti, les forces vives et non partisanes des diverses régions du Québec devraient se mobiliser davantage. Que peuvent-ils faire? Prendre parole. Tenir de grands rassemblements dans les régions ou comtés serrés. Rencontrer les médias. Il y a sûrement d’autres idées. Un grand coup de cœur entre frères et sœurs de toutes les régions du Québec.

Si le vote demeure serré selon les derniers sondages avant la date des élections, il faudra malheureusement (puisque nous n’avons pas de système de représentation proportionnelle encore en place) que les électeurs québécois votent stratégiquement le 14 octobre pour l’un ou l’autre des partis d’opposition qui a le plus de chance de l’emporter contre le candidat ou la candidate conservatrice, mais seulement dans les comtés où les Tories ont de bonnes chances de gagner le jour du scrutin.

Déjà là, si ce mouvement empêche une telle majorité ultraconservatrice de prendre le pouvoir, le pire des pires sera évité, soit une dérive excessive semblable à celle des républicains chez nos voisins du sud, avec toutes ses conséquences. Plus positivement, il n’est pas du tout exclus qu’un gouvernement minoritaire autre que conservateur soit formé à Ottawa, ayant un programme qui est plus près des aspirations de la majorité des gens, négocié et soutenu par un ou deux partis d’opposition selon les besoins.

Est-ce que les électeurs voteront ABC? La campagne n’est pas terminée et il peut toujours y avoir des soubresauts importants, mais parions sur le bon sens et le grand cœur de nos concitoyens et concitoyennes.