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Commentaires qui invitent à la réflexion sur l’actualité politique, en français ou en anglais / Thought-provoking comments on political developments, in English or French

2008/09/19

Les conservateurs: meilleurs gestionnaires de l’économie ?

Difficile à croire que suite à la dégringolade dans les secteurs manufacturier et forestier au Québec et au Canada, au retour probable des déficits budgétaires fédéraux et à la crise immobilière, financière et boursière aux É.-U., les néoconservateurs des deux côtés de la frontière canado-américaine maintiennent toujours, selon les sondages, une certaine image en tant que «bon gestionnaire de l’économie», comme si cette tragédie n’avait rien à voir avec leurs politiques économiques néfastes. Il est donc plus que temps de faire le point.


Ce sont effectivement les politiques de déréglementation des institutions financières, que les dirigeants républicains à Washington ont mises en place, qui ont permis à leurs amis en haute finance de prendre des risques inimaginables et de cacher les vraies données. Le but? Améliorer rapidement et substantiellement les marges de profits pour leurs actionnaires et leur propre compensation financière liée à ces résultats. Comment? En permettant l’octroi et la dissimulation de centaines de milliers de prêts hypothécaires par ces institutions à des familles sans revenus, ni emplois ou avoirs – prêts appelés NINJA (No Income, No Job, No Assets) – qui n’ont pu les repayer. La saisie et la vente rapide de milliers de ces maisons ont fait dégonfler les prix de l’immobilier, poussant du même coup vers le bas la valeur des portefeuilles détenant des prêts hypothécaires chez ces institutions financières.

L’avidité et l’irresponsabilité ont ainsi emporté des grandes sociétés comme Bear Stearns, Fannie Mae, Freddie Mac, Lehman Brothers, Merrill Lynch, AIG et combien d’autres cette année, tout comme ce fût le cas pour les Enron, WorldCom, Tyco et compagnies au début des années 2000. Et puisque ces pertes et faillites risquent d’en provoquer d’autres à cause de leurs liens financiers, la valeur des titres boursiers de beaucoup de petits et grands investisseurs, dont la Caisse de dépôt et placement par exemple, est moindre aujourd’hui. Le monde est de nouveau aux abords d’une «crise financière mondiale», que les autorités tentent de prévenir en utilisant des centaines de milliards de dollars des contribuables. Nous pouvons tous remercier les néoconservateurs pour cela.

Ce n’est pas tout. Voyant ce marasme venir et se développer depuis le début de la présente décennie, de grands investisseurs privés et fonds d’investissement ont délaissé progressivement ces secteurs en difficulté pour investir de plus en plus dans des produits de base (pétrole, minéraux, céréales, etc.), ce qui a contribué à faire monter en flèche les prix de ceux-ci bien au delà de ce que justifiait une demande croissante pour ces produits au niveau mondial. En partie à cause de cela et à cause des autres politiques erronées des neocons de l’administration Bush, tels que les déficits budgétaires et commerciaux à répétition, le dollar américain a perdu près de la moitié de sa valeur vis-à-vis notre monnaie et les principales devises étrangères entre l’an 2000 et la fin 2007-le début 2008.

Écart qui a été renforcé par les politiques économiques des gouvernements néoconservateurs au Canada et qui a contribué au recule des secteurs manufacturier et forestier au Québec et en Ontario, en particulier. Le phénomène a même un nom en science économique: «la maladie hollandaise». Bref, les Pays Bas (le nom officiel de la Hollande) ont découvert du gaz naturel sur leur territoire dans les années 1960 et, suite à sa production et à sa vente à l’étranger, ont vu leurs revenus, leurs salaires et leur devise augmentés avec l’entrée au pays de grande quantité de devises étrangères. À un point tel que leur secteur manufacturier est devenu non compétitif et leur PIB a à peine accru! Tout comme au Canada récemment, diraient certains.

D’autres pays comme la Norvège avec son pétrole et le Chili avec son cuivre ont appris cette leçon des Néerlandais et ont donc établi des fonds de dotation dans lesquels sont versés les surplus en capitaux provenant de la vente de matières premières, après avoir augmenté les redevances. Surplus qui sont ensuite investis à l’étranger pour l’essentiel, causant le minimum de distorsions à l’économie existante, et préservés pour les générations futures puisque ces ressources sont non renouvelables. Seulement une partie des gains en intérêts et en capitaux est dépensée à l’intérieur de ces pays chaque année par leur gouvernement national.

Comparez cela à ce qui se passe dans l’ouest canadien où le fonds de dotation albertain, The Heritage Fund, a été presque liquidé, où ils construisent des nouvelles banlieues à perte de vue, où les salaires sont les plus élevés au pays et les impôts les plus bas, où il n’y a pas de taxe de vente provinciale et la dette accumulée a été éliminée et où ils parlent sérieusement d’éliminer tous les impôts et de quintupler la production pétrolière. La belle vie pendant que les surplus paient autant pour ce développement tous azimuts, que pour les épiceries de tous les jours, et que la santé des gens et l’environnement sont hypothéqués. Ajoutez à cela la croissance économique liée à la hausse des prix de d’autres produits de base et au pétrole en Saskatchewan, à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse et il n’est pas étonnant que les secteurs manufacturier et tertiaire au Québec et en Ontario se sentent coincés dans un étau.

À cause de ces politiques néoconservatrices de part et d’autre de la frontière, il n’est donc pas surprenant que nous nous sommes retrouvés ces dernières années au Canada avec une monnaie surévaluée, une économie extractive et agricole en croissance dans certaines régions et une économie manufacturière en déclin au Québec et ailleurs au Canada, voire en récession, avec toutes les tragédies personnelles que cela implique. En somme, nous sommes témoins d’une restructuration fondamentale de l’économie canadienne et des forces relatives des provinces qui en découlent, si la tendance se maintient...

«Les républicains nous conduisent à des récessions et les démocrates à des guerres», dit un vieux dicton populaire aux États-Unis. En effet, toutes les administrations républicaines depuis le début de la Grande Dépression sous le président Herbert Hoover en 1929 ont connu, voire ont été responsables, d’importants déclins économiques aux É-U. et, par enchaînement, au Canada. Qui plus est, les conservateurs dédaignaient les déficits budgétaires avant l’arrivée au pouvoir du président Ronald Reagan en 1981 et du premier ministre Brian Mulroney en 1984, ce qui n’est plus du tout le cas aux É.-U. comme au Canada.

Il est donc temps de prendre une pause pour revoir notre gouverne et nos politiques économiques, entre autres, afin de repartir sur une base plus saine, durable et équilibrée. La présente campagne électorale et le ralentissement économique mondial nous fournissent une occasion en or de revoir le tout. Après mûres réflexions, les électeurs québécois devraient moins faire confiance aux conservateurs en ce qui a trait à l’un des plus importants dossiers pour nos concitoyens et concitoyennes – l’économie.


Robert M. David est économiste et enseigne aux universités d'Ottawa et Concordia